Grève de la démocratie !
Ce jeudi soir, un événement hors du commun s’est déroulé. Le Collège communal dans son ensemble a tenu un discours pour dénoncer la haine de plus en plus prégnante vis à vis des élus, vis à vis des administrations publiques, des ouvriers et employés communaux et des services de secours. Retrouvez ce discours dans son intégralité ci-après.
Chers collègues, chères personnes qui nous suivez dans cette salle du Conseil ou devant votre écran.
Ce soir, je ne vais pas ouvrir la séance, je ne vais pas tirer au sort le premier votant, je ne vais pas vous demander d’approuver le PV de la séance précédente et je ne vais pas non plus aborder le premier point de l’ordre du jour.
Le bourgmestre et nous, les membres du Collège, nous considérons en effet qu’il y a des menaces graves qui pèsent aujourd’hui sur l’exercice de notre mandat démocratique. Un an après les conclusions du travail de l’Union des Villes et Communes de Wallonie sur le blues des élus, nous estimons que la situation est toujours aussi préoccupante et qu’il est nécessaire de tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur les risques que court notre démocratie. Nous sommes indignés et abattus par le traitement réservé aux élus, la violence à l’égard des agents des administrations publiques, le mépris à l’égard des enseignants, la défiance à l’égard des policiers et même des services de secours.
Nous déplorons que le cadre législatif ne protège pas efficacement toutes ces personnes qui, dans l’exercice de leur mandat politique ou dans leur engagement professionnel, se mettent au service du public. Nous estimons que la justice n’est pas en capacité de poursuivre les agressions à l’encontre des élus et des agents des services publics, et particulièrement lorsque celles-ci se font via les réseaux sociaux.
Nous observons que la presse s’inspire de plus en plus régulièrement des messages et informations véhiculées sur les réseaux sociaux et donne de ce fait la parole à des personnes qui répandent des « fake news ». Ceci sans nécessairement trouver le temps de recouper leurs informations.
A Enghien, nous avons mis en place des mécanismes qui permettent un contact direct entre les élus et la population. Trois fois par an, nous invitons les comités de quartier pour écouter leurs préoccupations et y apporter des réponses, notamment au moyen d’un budget participatif. Avant chaque chantier, nous invitons les riverains concernés pour leur donner des explications et noter leurs remarques. Beaucoup de personnes apprécient ce fonctionnement et nous le disent.
Malgré ces initiatives, certes imparfaites, mais bien réelles, la désinformation circule sur les réseaux sociaux, alimentées par des personnes qui ne répondent à aucune de nos invitations au dialogue et nous excluent même souvent de leurs pages, nous empêchant ainsi d’accéder au débat et d’apporter des informations précises. Récemment, un agent communal, secrétaire dans notre service travaux, a été agressée verbalement par un groupe de citoyens qui se sont invités en nos bureaux sans prendre rendez- vous et sans même écouter les informations qu’elle pouvait leur donner. Récemment encore, le procès d’un bibliothécaire a été lancé sur les réseaux sociaux par des personnes qui se cachent derrière de faux profils (pseudos).
Toutes les semaines, les gardiens de la paix se font agresser dans la rue par des personnes qui n’acceptent pas qu’ils relèvent des infractions pourtant avérées. Un gardien de la paix ainsi qu’un agent du service population a même subi une agression physique au cours de l’année écoulée.
Récemment toujours, les images d’un Conseil communal ont été détournées de leur contexte pour nuire à l’image du Bourgmestre et d’un Echevin dans une campagne d’affichage dont les auteurs n’ont pas le courage d’assumer la responsabilité. Il ne se passe quasiment aucune journée sans que des messages moqueurs, dénigrants ou haineux circulent sur les groupes Facebook locaux, avec l’approbation (plus ou moins tacite) de leurs administrateurs.
Au sein des services sociaux, du service mobilité, de la direction financière, des citoyens se permettent des propos agressifs voire injurieux quand ils n’obtiennent pas satisfaction à leurs demandes alors que les agents ne font qu’appliquer les dispositions légales. Même un ouvrier occupé au salage des routes, à 22h, a subi les insultes de la part d’un citoyen insatisfait.
La nuit de Nouvel An, un groupe de personnes mal intentionnées, s’en est pris aux bâtiments du CPAS et de la Police, causant des dégradations et un début d’incendie qui a fort heureusement pu être rapidement maitrisé. C’est une escalade interpellante dans la manifestation de la défiance et de la haine.
Cette haine est insupportable dans la mesure où elle sape le moral et détruit la motivation des personnes qui s’engagent en politique et dans les services publics. Autour de cette table, nous sommes toutes et tous des personnes élues à la suite d’un scrutin démocratique. Chacun.e représente donc un courant d’idée porté par une partie de la population. Nous ne sommes pas dans une dictature où seules les idées d’une personne ou d’un groupe de personnes sont prises en compte.
La motivation ou, en tous cas, le résultat de l’action des personnes qui véhiculent les idées simplistes, complotistes, antisystèmes, antipolitiques, antitout sont de nuire au fonctionnement démocratique de notre commune, de notre région et de notre pays.
Nous croyons que la démocratie est gravement menacée et cela dans une indifférence assez générale qui nous inquiète. Depuis l’appel lancé par l’Union des Villes, les choses ont évolué mais dans un sens qui n’est pas le bon. Les idées populistes et extrémistes gagnent du terrain et sont
banalisées par une parole qui s’exprime de plus en plus librement dans la presse et dans les médias sociaux.
Nous répétons donc les demandes pertinentes formulées par l’Union des Villes en commençant par celle qui nous semble prioritaire et qui s’adresse aux députés du Parlement fédéral : prenez de manière urgente des décisions par rapport à un cadre légal qui protège l’exercice des mandats et fonctions publiques, un cadre qui prévoit des peines facilement applicables à celles et ceux qui usurpent le respect de nos fonctions.
Nous demandons également à la population de ne pas se montrer complice, par un silence approbatoire, des actes de haine et de dénigrement que nous dénonçons ici. Intéressez vous à la vie en société afin de vous forger une opinion libre par rapport à tous ces oiseaux de mauvaise augure qui s’attaquent à la démocratie. Respectez le travail de nos équipes, venez débattre avec nous sur le terrain des arguments, de la diversité et du pluralisme. Participez notamment aux réunions du Conseil communal.
Dans les mêmes termes que l’Union des Villes, nous demandons également à la presse de mettre en avant ce qui va bien, les bonnes pratiques et les réussites des élues et élus locaux, mais de se garder par contre du bashing politique gratuit qui est parfois utilisé pour faire de l’audience.
Ce soir, nous avons le blues, nous sommes blessés par ce que nous lisons sur les réseaux sociaux, par ce que nous entendons trop souvent dans les médias. Et nos familles et nos proches sont les victimes collatérales de ces excès. Nous aimons nos métiers et nos engagements au service du bien commun. Ce soir, nous disons « Stop » à la banalisation de la violence, « stop » aux menaces, « stop » aux discours haineux envers les personnes qui se consacrent au service de la population.
Pour montrer notre indignation, ce soir, nous posons un geste fort. Nous nous mettons en grève de la démocratie en quittons pour une soirée notre siège d’élues et d’élus. La séance est donc levée